19 décembre 2007

Un contrat environnemental

Hervé Domenach propose une gouvernance mondiale environnementale.
Le démographe appelle à une planification intelligente des modes de développement.

Entretien
(extraits)

Plus nombreuse, plus vieille, plus africaine, plus citadine : ainsi pourrait-on résumer la présence humaine sur Terre au milieu du siècle. La planète bleue peut-elle nous supporter tous, et comment ?

Nous avons interrogé le démographe français Hervé Domenach, directeur de recherches à l'Institut de recherches pour le développement(*).

Les études diverses et variées, consacrées à la population que pourrait supporter la planète dans les conditions de production essentiellement alimentaires, montent jusqu'à plus de 20 milliards d'habitants. On peut considérer un seuil de 12 milliards comme acceptable. Mais le paramètre démographique ne constitue qu'un des paramètres de l'équation globale de l'équilibre écosystémique de la planète. Les populations peuvent être assez importantes si l'aménagement et le développement des territoires échappent à la guerre du productivisme intensif.

• Quel est le facteur le plus important ?

La planification intelligente des modes de développement. Or, on envoie du soja transgénique du Brésil en France pour nourrir les poulets, dont les morceaux bas sont envoyés au Sénégal, où ils détruisent le marché local parce qu'ils reviennent moins cher...

• La conscientisation de la menace est-elle suffisante ?

Pas du tout ! Pour prendre conscience de tout cela, il faut avoir non seulement un certain niveau d'instruction, mais en plus l'ouverture à ce type de problèmes. Il faut garder à l'esprit que cela ne concerne que 200 à 300 millions de personnes. Les deux tiers de la population mondiale sont dans des logiques de satisfaction de leurs besoins vitaux et n'ont pas de réflexion sur le coût environnemental de tel ou tel système de production.

La vitesse d'évolution de la technologie moderne permettra-t-elle de donner des réponses à temps ? Le débat dialectique se pose en ces termes. La technologie moderne permet de fournir des réponses, mais la gestion politico-économique de la planète ne les met pas vraiment en place. Tant qu'on ne se tapera pas la tête dans le mur, il n'y aura pas de mesures gouvernementales intelligentes...

• On se tape quand même déjà un peu la tête dans le mur...

Mais cela ne saigne pas encore beaucoup ! Dans certaines parties extrêmement polluées de la Chine, on trouve des taux de maladies respiratoires, cancérigènes, allergiques, etc. en croissance tellement rapide que les autorités n'ont plus le choix, en effet. Mais, en général, les gouvernements dominants de la planète jouent un jeu assez dangereux sur le plan politico-environnemental. L'équilibre écosystémique de la planète n'est pas la première préoccupation de ceux qui gouvernent les Etats-Unis par exemple. Or, avec 300 millions d'habitants, ils représentent 25 pc de la consommation mondiale.

• Etes-vous de ceux qui proposent de limiter la croissance économique pour sauver la planète ?

La question mérite d'être posée, mais je ne pense pas qu'il faille poser le débat dans les termes décroissance/croissance économique. Il faut croître mieux, de façon intelligente, parce qu'on est dans un mode de croissance aberrant. La solution ne passe pas par la décroissance, mais par la croissance économique mise au service d'une gouvernance planétaire. Le Produit intérieur brut n'est pas le bon critère. Par dérision, des économistes ont proposé le Bonheur intérieur brut comme indicateur de satisfaction globale d'une société. Il est urgent de passer à une gouvernance mondiale environnementale, sous l'égide des Nations unies ou autre, pour lutter contre le productivisme sauvage qui est la source de nos déséquilibres.

• Comment intervenir à ce niveau ?

De deux façons : par la fiscalité et par des lois. Une fiscalité mondiale s'appliquant de manière systématisée permettrait une régulation à laquelle on échappe aujourd'hui. Le fiscal peut être incitatif ou pénalisant. Ce qui crée le moteur actuel de la dégradation environnementale, c'est essentiellement la course à la productivité. On pourrait très bien imaginer une loi sur la déforestation, qui avance à l'allure extrêmement rapide d'un terrain de foot toutes les deux minutes et qui, en Indonésie ou en Malaisie, par exemple, entraîne des déplacements de populations. Et l'on installerait un mécanisme de compensation. C'est ce que proposent un peu les tenants du marché, avec les bourses de crédits environnementaux, mais ce n'est qu'un aménagement des méthodes productivistes.


• On ne pense pas à l'avenir de la planète quand on coupe du bois pour survivre. Anticiper reste un luxe...


Le milliard et demi de personnes qui vivent dans des conditions de survie contribue à la dégradation mais cela n'a rien à voir avec le machinisme agro-productiviste. Les malheureux qui sont condamnés à dégrader leur environnement proche ne sont que quelques millions. Il existe des exemples de dégradation par la pauvreté, comme dans le nord-ouest haïtien, complètement désertifié parce que les gens en sont arrivés à couper leurs arbres fruitiers. Mais, en même temps, pourquoi font-ils cela ? Parce qu'il y a un marché pour le charbon de bois à Port-au-Prince. La régulation environnementale planétaire pourrait tout à fait intervenir sur le charbon de bois et proposer des compensations pour que les pauvres ne soient pas obligés de couper le bois qui les nourrit derrière leur maison. (...) Dans la logique de l'économie de marché, c'est la solution la moins pire. Mais elle ne remet pas en question la compétition productiviste sauvage.


Sabine Verhelst

La Libre Belgique (dossier Climat, paru à l'occasion de la conférence de Bali)
Mis en ligne le 01/12/2007

(*) Hervé Domenach a notamment dirigé, avec Michel Picouet, l'ouvrage "Environnement et populations. La durabilité en question", L'Harmattan, 2004. Il est aussi l'auteur de l'article "Démographie et environnement : vers une régulation planétaire ?", publié dans la revue de l'Ecole polytechnique "La Jaune et laRouge", Paris, août-septembre, 2007.

Lire tout l'article et le dossier de la Libre (8 pages)

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