19 février 2025

Le monde arabe en mouvement : que se passe-t-il en ce moment ? (19 février 2025)

Palestine: L’article d’Orient XXI analyse le plan du président américain Donald Trump visant à transformer la bande de Gaza en un territoire sous contrôle américain, en expulsant sa population palestinienne vers l’Égypte ou la Jordanie. Ce projet, qui prévoit de faire de Gaza une « Riviera » du M-O : est largement critiqué pour sa violation flagrante du droit international et est qualifié de nettoyage ethnique.

Les Nations Unies ont mis en garde contre toute tentative de déplacement forcé de population, rappelant que de telles actions sont strictement interdites par le droit international humanitaire. Les Palestiniens, profondément attachés à leur terre, rejetant massivement cette proposition, la considérant comme une atteinte à leurs droits fondamentaux et à leur identité nationale.

https://orientxxi.info/magazine/gaza-avec-donald-trump-en-avant-toute-vers-le-nettoyage-ethnique,7988 (publié le 04 février 2025 dans L’Orient XXI)
----
Palestine : En 2024, l'année la plus meurtrière pour les journalistes, 70 % des meurtres ont été attribués à Israël, en particulier pendant les offensives militaires à Gaza, en Cisjordanie et au Liban. Le rapport du Committee to Protect Journalists (CPJ) révèle que 124 journalistes ont été tués dans 18 pays, dont 85 par Israël. Ce chiffre inclut des journalistes palestiniens et libanais, avec des accusations de ciblage délibéré. Israël a été responsable d'un nombre record de décès de journalistes, alimentant des préoccupations sur l'impunité pour ces crimes.

https://www.newarab.com/news/israel-responsible-70-percent-journalist-killings-2024 ( publié le 12 février 2025 sur The new Arab)
----
Palestine : Des sources de Hamas ont indiqué que l'Égypte et le Qatar ont fourni des garanties concernant la libération des prisonniers, s'engageant à assurer le processus si Israël respectait ses engagements. L'initiative vise à améliorer la situation humanitaire et renforcer les négociations autour de la paix dans la région.

https://aawsat.com/العالم-العربي/المشرق-العربي/5111505-مصادر-حماس-لـالشرق-الأوسط-مصر-وقطر-قدمتا-ضمانات-وملتزمون-بإطلاق ( publié le 12 février 2025 sur le journal arabe Aawsat)

Syrie : L’article intitulé «  La Syrie et l’opportunité d’un nouveau récit arabe », analyse les conséquences de la chute inattendue du régime Assad et de la prise de Damas par Hayaat Tahrir al-Cham. L’opinion publique arabe se réjouit de la fin d’un régime associé à la barbarie et à la connivence avec l’Iran, mais les gouvernements arabes affichent des réactions divergentes. L’Article souligne que les principales chaînes panarabes, telles qu’Al Jazeera, Al Hadath et Sky News Arabiya, proposent des récits différents, reflétant les positions de leurs gouvernements respectifs. Ces évènements remettent en question les narratifs idéologiques établis depuis les printemps arabes, notamment la division entre un camp islamo-révolutionnaire et un camp militariste anti-islamiste. L’auteur suggère que cette situation offre une opportunité pour redéfinir le récit arabe, en dépassant les anciennes divisions et en adoptant une approche plus unifiée face aux défis actuels.

 https://www.lorientlejour.com/article/1443748/point-de-vue.html (publié le 16 janvier 2025 dans l’Orient -Le Jour)

Syrie : Le président russe Vladimir Poutine a échangé avec Ahmed Charaa sur la situation en Syrie, Il a proposé son aide pour soutenir la stabilité en Syrie. Il a souligné l'importance de la coopération pour restaurer la paix et renforcer les efforts diplomatiques dans la région.

https://www.aljazeera.net/news/2025/2/12/بوتين-يجري-اتصالا-هاتفيا (12       ( le 12 février 2025 sur Al-Jazeera)


Iran: L’article de l’Orient -Le jour, analyse la situation actuelle de l’Iran, affaibli par la perte de ses alliés régionaux et la réduction des capacités du Hezbollah. Dans ce contexte, le programme nucléaire iranien reste son principal levier stratégique. L’auteur suggère que le président américain Donald Trump a une opportunité historique de négocier un nouvel accord global avec Téhéran, incluant le programme nucléaire, les missiles balistiques et les mandataires régionaux. Un tel accord pourrait réduire le risque de prolifération nucléaire au Moyen -Orient et permettre aux USA de se concentrer sur d’autres priorités géopolitiques.

https://www.lorientlejour.com/article/1444995/nucleaire-iranien-une-nouvelle-opportunite-historique.html (publié le 25 Janvier 2025 dans l’Orient -Le Jour).

Jordanie : Le président américain Donald Trump a rencontré le roi Abdallah II de Jordanie pour discuter de l’avenir de la bande de Gaza. Trump a proposé que les Etats-Unis prennent le contrôle de Gaza après avoir déplacé sa population palestinienne vers la Jordanie et l’Égypte, avec l’intention de transformer le territoire en une zone de développement immobilier. Le roi Abdallah II a fermement rejeté cette proposition, soulignant son opposition au déplacement des Palestiniens et insistant sur la nécessité de reconstruire Gaza tout en respectant les droits des Palestiniens à rester sur leur terre, cette rencontre s’est déroulée dans un climat tendu, reflétant les divergences profondes entre les deux dirigeants sur la question palestinienne.

https://www.youtube.com/watch?v=MbT2XEuoTDc
( publié le 11 février 2025 sur France 24)

Liban : Le gouvernement de Nawaf Salam, annoncé le 8 février 2025, comprend 24 ministres, dont 5 femmes. Tarek Mitri est nommé vice-président du Conseil des ministres. Le cabinet inclut des figures politiques variées, des anciens ministres et des indépendants, mais aucun membre du gouvernement sortant. Le Courant Patriotique Libre passe dans l'opposition. Le gouvernement dispose de 30 jours pour obtenir la confiance parlementaire.

https://www.lorientlejour.com/article/1446757/qui-sont-les-ministres-du-gouvernement-de-nawaf-salam-.html ( publié le 08 février 2025 sur l’Orientlejour)

Les pays arabe face à D.Trump : Selon des analystes, les Arabes font face à un danger existentiel nécessitant une stratégie d'unité et d'innovation. Ils doivent créer des partenariats régionaux solides pour répondre aux défis géopolitiques et technologiques actuels. L’accent est mis sur l’importance de renforcer la coopération économique et sécuritaire.

https://www.aljazeera.net/news/2025/2/13/محللون-العرب-أمام-خطر-وجودي-وعليهم-خلق
(publié le 13 Février 2025 sur Al Jazeera)

Algérie -France : L’article analyse l’escalade des tensions entre la France et l’Algérie, exacerbées par les positions de la droite française. Après la dissolution de l’Assemblée nationale en juin-juillet 2024, le président Emmanuel Macron, privé de majorité parlementaire, s’est tourné vers les Républicains pour former un gouvernement. Cette alliance a conduit à un rapprochement avec le Maroc et à une reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, rompant avec la position française traditionnelle en faveur de l’autodétermination. Cette décision a provoqué la colère d’Alger, qi a rappelé son ambassadeur et gelé certaines coopérations avec la France. Parallèlement, le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a adopté une ligne dure envers l’Algérie, notamment en matière migratoire, alimentant davantage les tensions entre les deux pays.

https://orientxxi.info/magazine/algerie-france-la-droite-enflamme-les-tensions,7945 (publié le 28 janvier 2025)

Soudan : Le Soudan ne voit pas d’obstacle à l’installation d’une base navale russe sur la mer Rouge, selon son ministre des Affaires étrangères. Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un accord signé avec Moscou pour renforcer la coopération militaire et la présence russe dans la région stratégique.

https://information.tv5monde.com/afrique/soudan-pas-dobstacles-une-base-navale-russe-sur-la-mer-rouge-selon-le-ministre-des-affaires
( publié le 12 février 2025 sur TV5 Monde)

Turquie :  La Turquie et l'Indonésie ont signé un accord pour créer une coentreprise visant à construire une usine de drones turcs en Indonésie. Ce projet vise à renforcer la coopération dans le domaine de l'aéronautique et des technologies de défense.

https://www.aljazeera.net/ebusiness/2025/2/12/تركيا-وإندونيسيا-توقعان-اتفاقية ( publié le 12 février 2025 sur Al Jazeera)

Les Émirats: Lors du sommet L’IA à Paris, les Émirats ont annoncé la construction d'un immense data center en France. Ce projet vise à renforcer l'infrastructure numérique européenne et à répondre à la demande croissante de données, tout en renforçant la coopération entre la France et les Émirats dans le secteur technologique.

https://information.tv5monde.com/economie/sommet-sur-lia-paris-les-emirats-construiront-en-france-un-data-center-geant-2761829 ( publié le 06 février 2025 sur TV5 Monde)

17 janvier 2025

De 1885 à 1907, Léopold II, le roi des Belges...

De 1885 à 1907, Léopold II, le roi des Belges, se lance dans la conquête du Congo. Appâté par l’ivoire et le caoutchouc de cette colonie dont il fait sa propriété personnelle, il la saigne à blanc. Un génocide dont l’ampleur exacte est difficile à déterminer, les estimations des historiens allant de 1 million à 10 millions de morts.

« Congo », le récit d’Eric Vuillard

Un article de la série du "Nouvel Obs" Derrière la photo (2/4)
Par Doan Bui. Publié le 17 décembre 2024

Cette histoire-là, Eric Vuillard la connaissait. « Mais quelque chose dans ce cliché m’a fait réaliser que nous, Occidentaux, Blancs, nous ne pourrons jamais comprendre. Ces enfants, sur la photo, ils nous fixent de leurs yeux de papier. Comme si, par un petit trou, leur âme nous regardait. Dans leur regard, il y a une tristesse qui s’enfonce dans le cœur et qui vous fait vous sentir tout petit, vous perdre tout au fond de vous-même. » Et c’est cette tristesse, dans le regard de ces enfants qui a embarqué le romancier dans l’histoire du Congo belge.

« Congo », le récit d’Eric Vuillard, s’ouvre par la conférence de Berlin, des mois de négociations qui commencent en 1884 pour se terminer en 1885, un Yalta colonial où les puissances occidentales décident de se partager l’Afrique. Car, précédant les carnages, il n’y a toujours qu’un seul moteur : l’argent. C’est d’ailleurs pour des raisons de rentabilité qu’il va pleuvoir des mains coupées au Congo.
La « force publique » belge, bref, l’armée de Léopold II, ne fournit pas assez de munitions aux mercenaires locaux embauchés pour mater les populations forcées de récolter le caoutchouc. Pour justifier de leur usage des balles, les soldats doivent ramener des « trophées », en l’occurrence, une main coupée, souvent la droite, pour obtenir salaire. Les « coupeurs » de main en ont parfois tant, des mains, qu’ils les fument pour pouvoir les conserver, et les présenter aux autorités belges.

La première campagne humanitaire médiatique

La photo des enfants mutilés provient de la collection de la missionnaire britannique Alice Seeley-Harris, envoyée au Congo en 1898. Une collection de 60 clichés qu’elle a réalisés avec son mari John Harris, ou récupérés auprès d’autres missionnaires pour dénoncer les horreurs commises sur ce territoire. Les images auraient pu rester cantonnées à la presse protestante. Sauf que les Harris ne sont pas seuls dans leur combat. Ils ont rejoint la Congo Reform Association, née en 1904, un collectif créé par Roger Casement, consul britannique au Congo, et par le journaliste Edmund Morel. Casement a écrit un rapport incendiaire sur les exactions de Léopold II, Edmund Morel, un livre non moins terrible, publié en 1904 : « King Leopold’s Rule in Africa ». Mais ce sont les photos des Harris qui lancent réellement la campagne.

Tout cela tombe très bien pour des puissances comme la France ou l’Angleterre, car ce tintamarre autour de la Belgique évite de jeter une lumière trop crue sur ce qui se passe dans leurs propres conquêtes coloniales… L’impact de ces images est en tout cas suffisamment fort pour que Léopold II soit contraint de lancer une contre-offensive. Il accuse Harris d’avoir truqué les photos », raconte l’historien Daniel Foliard, auteur de « Combattre, punir, photographier », un essai remarquable à tout point de vue sur la photographie et la violence coloniale. [1]

(...) Avant les Harris, un pasteur afro-américain, George Washington, est parti au Congo et, horrifié, a accusé Léopold II de « crimes contre l’humanité » dans une lettre ouverte : son rôle a été aujourd’hui largement oublié. Les photos des Harris, par leur large diffusion, ont invisibilisé les exactions qui se passent ailleurs, en particulier dans l’empire français. Comme s’il y avait eu des colonisations conduites « humainement ». « D’autres images d’horreurs existent pourtant, par exemple lors de la conquête française au Soudan. Mais elles n’ont pas circulé à l’époque. Elles sont totalement occultées, jusqu’à aujourd’hui, encore. Il y a une véritable aphasie coloniale française », souligne Daniel Foliard.

Pour lire la suite, et le texte entier, voir Le Nouvel Obs... et avoir le coeur bien accroché !

_____________

◗ A lire pour en savoir plus
« Congo, l’histoire d’un holocauste oublié », Eric Vuillard, Actes Sud
Prix Goncourt pour « l’Ordre du jour », le romancier revisite l’histoire coloniale du Congo. Dans ce récit ramassé et saisissant, Vuillard nous faisant découvrir ceux qui sont à la manœuvre, Léopold II, le « pharaon » du caoutchouc, Leon Fiévez, l’administrateur colonial fou et bien d’autres.
◗ « Combattre, punir, photographier : empires coloniaux 1890-1914 », Daniel Foliard La Découverte
Un ouvrage historique qui fera date. L’essai de Daniel Foliard analyse des clichés d’archives, dont beaucoup ont été effacés de notre mémoire collective.
◗ « Au cœur des ténèbres », Joseph Conrad.
Le roman culte qui a inspiré « Apocalypse Now ».
◗ Mais aussi le site https://antislavery.nottingham.ac.uk/, qui a numérisé toute la collection des Harris, ainsi que les clichés des Congo Atrocity Lantern Lecture.

01 janvier 2025

Paul-Claude Racamier, le psychanalyste qui a théorisé la « perversion narcissique »,


Nouvel Obs. Publié le 22 décembre 2024, mis à jour le 24 décembre 2024
  Par Anne Crignon

Extraits
 

Paul-Claude Racamier a notamment décrit et documenté comment cette déviance morale fait des ravages dans les lieux de pouvoir et les institutions. Portrait d’un grand nom de la psychanalyse à l’occasion du centenaire de sa naissance.


ll y a cent ans venait au monde Paul-Claude Racamier (1924-1996) qui deviendrait ce grand psychiatre épris de psychanalyse, et vice versa, arpenteur, dirait-il, des « plus étranges contrées de la psyché » – et des plus ténébreuses. La postérité, qui trie à la va-vite, n’a pas gratifié d’une renommée à la hauteur de son génie ce chercheur qui mit en circulation, entre autres concepts, celui du très populaire « perversion narcissique ».


Au jour de définir dans son œuvre cette déviance morale, Paul-Claude Racamier commença par quelques mots désolés, comme pour s’excuser d’avance de produire un si sombre constat : « Je dois maintenant m’acquitter du devoir d’introduire la partie la plus amère de cet ouvrage. »

1952. Sa rencontre avec Francis Pasche, thérapeute influent de son temps, ouvre à Paul-Claude Racamier les portes de la Société de Psychanalyse de Paris, la SPP, dont il sera membre bientôt. Les murs résonnent d’absurdes querelles. Lui s’offre juste le luxe de dire non à Jacques Lacan. (...)

Cette défiance vis-à-vis du roi Lacan ajoutée à son horreur des lieux de pouvoir et des fausses amitiés pourtant utiles à la construction d’une carrière lui valent sans doute la chape d’oubli posée sur son cercueil.

(…) Puisant dans sa phénoménale connaissance des travaux de Freud, il estime que « l’Œdipe » du maître souffre d’incomplétude. Il propose de lui associer « l’Antœdipe » (en gros : organisation psychique qui prélude à l’Œdipe et l’accompagne), selon lui, « rien n’est d’inventé qui ne préexiste »). Il espère que ce concept entrera un jour au répertoire commun et sera d’utilité publique sans être pour autant « galvaudé » et « défiguré ». Facétie du destin, c’est une autre de ses découvertes qui connaîtra semblable destin : la perversion narcissique. Car, déjà, il scrute tout ce qui relève du sujet. Identité narcissique, capacité narcissique, déficience narcissique, survie narcissique, assistance narcissique, perfusion narcissique, défense narcissique : la machine est lancée.

La Velotte, l’ancêtre des hôpitaux de jour

 En 1967, pas mécontent de s’éloigner de Paris et des mesquineries à la Société de Psychanalyse, où il n’ira plus que par intermittence, Paul-Claude Racamier ouvre à Besançon une petite institution de cette taille humaine essentielle à ses yeux : c’est La Velotte, considérée comme l’ancêtre des hôpitaux de jour, toujours ouverte aujourd’hui, toujours singulière. On y encourage d’emblée la coopération des familles dans une ambiance « comme à la maison » – le « vert-Racamier » posé sur les murs en est un signe amusant. La pratique est ici, hier comme aujourd’hui, en accord avec la pensée de son hôte : « La médecine psychosomatique a montré chaque jour qu’on n’est pas tuberculeux qu’avec des bacilles de Koch dans ses poumons. En réalité, l’histoire d’un homme avec ses agressions, ses désirs, et ses amertumes se cache et se place dans la paroi gastrique ou dans ses alvéoles immunitaires tout comme elle peut se dire et se taire à la fois dans les symptômes de sa névrose. »


A La Velotte, devenue l’arche de Racamier en somme, et qui obtiendra en 1983 l’agrément de la Sécurité sociale, il poursuit sa réflexion sur « l’esprit des soins » – ce sera d’ailleurs le titre d’un ouvrage publié à titre posthume. Il voit le psychiatre-psychanalyste comme un « chef d’orchestre » conduisant ensemble de sa baguette avisée soin aux patients, soin aux soignants, soin à l’institution, soin aux familles. Lui est d’une rare disponibilité. Un infirmier en difficulté peut lui téléphoner à toute heure du jour ou de la nuit (…).
Jour après jour, Racamier approfondit sa recherche sur la schizophrénie dont il est spécialiste (son livre sur le sujet est un classique) et continue de travailler sur les perversions narcissiques – le pluriel a son importance comme on va le voir. Au départ, il appelle « porteurs d’une perversion de caractère » les gens qui envisagent autrui comme un ustensile au service de l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Au cours d’une carrière à dimension internationale, il observe ce mal dans plusieurs hauts lieux de la psychanalyse et se blesse lui-même au contact de ce genre de personnages, comme un infirmier-chef en Suisse particulièrement toxique. Il dira avoir « côtoyé l’indicible ».

Il y a un bon côté à ces mauvaises rencontres. Plus rien ne lui échappe du phénomène complexe d’expulsion ou tentative d’expulsion par un sujet de ses propres désordres psychiques pour les faire couver chez autrui. Terrible réalité que la vidange d’une psyché malade avec éjection des souillures dans la psyché d’un autre devenue une poubelle. Il nomme « Porte-faix » (un autre concept) toute personne ainsi agressée, violée pourrait-on dire si le viol psychique existe. L’affaire est grave. Paul-Claude Racamier est en train d’identifier et de mettre au jour la préoccupation inconsciente, constante, féroce de certains (et certaines bien sûr) de faire couver par autrui une dépression ou une psychose afin de l’éviter pour soi-même et la possibilité de déménager ainsi jusqu’aux pulsions suicidaires. La perversion narcissique est une forme d’économie. En présentant la note à un autre, le porteur fait l’économie de la souffrance, l’économie de la remise en question, l’économie du long travail de compréhension et de connaissance de soi, l’économie des remords et regrets qui accompagnent ce cheminement, et on en oublie sans doute. D’éminents successeurs comme Maurice Hurni et Giovanna Stoll qui ont travaillé (remarquablement) sur le couple de pervers, viendront plus tard ajouter leur coup de pinceau au tableau avec d’autres concepts telle la « crise de fureur narcissique » (s’observe sur le sujet que seule la blessure de nature narcissique affecte). Une association, Autour de l’œuvre de Racamier, où sont quelques-uns de ses amis d’antan comme Jean-Pierre Caillot, continue aujourd’hui d’actualiser et diffuser les connaissances.

Un « psychanalyste sans divan » 

L’écriture de ce « psychanalyste sans divan » (titre d’un de ses livres) est limpide, rigoureuse. Vivante aussi, avec un soin porté au juste mot. Certains ont suggéré qu’elle était un « contre-style » à opposer à celui de Lacan. « Après tant de pages écrites dans un sabir brumeux, tu nous fais entrer au musée de la transparence », déclara un confrère et ami au cours d’un colloque. Voilà qui lui valait sans doute pas mal d’inimitié. Qu’importe, le meilleur restait à venir : « le Génie des origines » (Payot, 1992) où il décrit, chapitre 9, les contours précis de la perversion narcissique. Aux Etats-Unis, un grand homme est d’accord avec lui, Harold Searles, auteur d’un ouvrage paru en 1978 dont le titre résume à lui seul la torsion perverse : « l’Effort pour rendre l’autre fou ».

Ce mal peut être passager. C’est le « soulèvement pervers » (concept) ou bien installé, susceptible d’être porté à un très haut niveau « d’accomplissement » (lu dans ses descriptions). Au calcul et à l’action prédatrice, il oppose l’intelligence créatrice qui est la cible de prédilection du pervers, et rédige ceci, de nos jours en circulation sur internet (quoique moins bien formulé) : « ll n’y a rien à attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut seulement espérer s’en sortir indemne. » Ce que l’on sait moins c’est que l’inventeur de la perversion narcissique avait aussi inititié une réflexion sur les groupes et les institutions gagnés par ce mal.
 

A côté de la perversion narcissique d’ordre privée ou professionnelle, il y a la perversion institutionnelle. Mais alors, l’institution Vᵉ République, en son pitoyable état, serait-elle l’objet d’une offensive perverse impossible à nommer ? Et le travail de Racamier de nature à éclairer la scène politique à l’heure où le mot « chaos » est partout prononcé ?
(…) La perversion institutionnelle, elle, se reconnaît au « délitement de la pensée vraie, profonde, écrit Racamier. La pensée perverse est une pensée créativement nulle et socialement dangereuse. Elle peut être considérée comme le modèle de l’antipensée (…) On a vu des groupes se déliter, des institutions pourrir, et des peuples entiers souffrir sous l’emprise de la pensée perverse exercée et mise en œuvre par quelques-uns. » 

Et d’ajouter : « Quel est, au fait, le véritable secret de cette “pensée” ? C’est une pensée pour ne pas penser. » Il décrit aussi le « profond cachet d’inauthenticité » du pervers, et la parole utilisée comme une arme : « Le terrain de prédilection, l’instrument majeur de la perversion narcissique, il est temps de le dire, c’est la parole. (On l’aura compris : je ne prétends pas que l’exercice de la parole n’appartienne qu’à des pervers). » Quant à la « mystérieuse innocence » des faiseurs de zizanie, elle s’explique par ce « verrouillage défensif » (concept) qu’est le déni.

 
Imaginons maintenant un pays qui porterait à la tête de l’Etat un tel personnage. On irait alors étudier cette mise en garde postée par Racamier au siècle dernier au sujet de ce qu’il appelle la « mise à feu » : « Nous n’avons pas regardé ce qui se passe lorsque cette perversion, sous la pression d’une formidable accélération, touche à la folie. Comment s’effectue la mise à feu ? Ce n’est pas sous le coup de l’échec, mais au contraire sous l’emprise de la réussite. Cette réussite consiste elle-même dans la réalisation d’une ambition majeure du sujet. II convoitait ardemment une fonction à ses yeux prestigieuse : il l’obtient. Un titre : on le lui donne. Un grade : il l’atteint. Un lot : il le gagne (…) Voilà donc une réussite qui est prête à précipiter une pathologie (…) C’est le succès qui enivre le narcissique pervers ; c’est la réussite qui lui donne des ailes et lui ôte toute retenue, commence alors un formidable processus d’accélération. Une image vient irrésistiblement à l’esprit : celle du feu qui propulse. Le moi se met à flamber (…) La folie narcissique atteint son comble ; deux mots suffiront à la définir : une mégalomanie maligne. Rien ne semble arrêter le triomphe narcissique, l’élévation domine tout : le sujet se sent irrésistible, il vit dans le triomphe et le défi. Il défierait le monde entier ».
On voit quelle découverte considérable fit Paul-Claude Racamier lorsqu’il prit conscience que rien n’est blessable davantage qu’un narcissisme sain attaqué par un narcissime pervers. Etonnamment (…) on trouva ceci parmi les dernières notes maladroites jetées sur papier par le psychanalyste à la veille de mourir, le 18 août 1996, tracé de son ample écriture :
“ « Je le savais. Plus que jamais, je l’ai senti. Décidément le narcissisme pathologique fait mal au narcissisme normal. »”

« Je le savais. Plus que jamais, je l’ai senti. Décidément le narcissisme pathologique fait mal au narcissisme normal. »

https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul-Claude_Racamier


à lire, (pour les abonnés au Nouvel Obs) : https://www.nouvelobs.com/histoire/20241222.OBS98142/paul-claude-racamier-le-psychanalyste-qui-a-theorise-la-perversion-narcissique-prive-de-posterite-pour-avoir-defie-lacan.html



_________________

Paul-Claude Racamier. SOCIETE PSYCHANALYTIQUE DE PARIS
https://www.perspectives-psy.org/articles/ppsy/full_html/2012/03/ppsy2012513p213/ppsy2012513p213-img1.gif