10 avril 2020
Le soin sorti de l’ombre
Extraits d’une lettre de
Michel Dupuis, philosophe, professeur à l’UCLouvain et à l’ULiège
dans le courrier des lecteurs de La Libre du 7 avril 2020
La crise sanitaire nous fait ressentir et voir bien des choses !
Et des choses habituellement dans l’ombre, tout à coup, apparaissent. La crise révèle. Elle renouvelle le regard. Elle fait voir l’invisible, et surtout elle fait apparaître les "invisibles", toutes ces personnes qui soutiennent la vie au quotidien en étant confinées dans des activités peu valorisées - peut-être même des "sales boulots".
Il me semble que la crise inédite que nous vivons nous apporte sa révélation bien à elle : elle nous fait voir des femmes et des hommes dont la fonction ne recevait pas l’attention qui lui est due. Je pense ici à l’ensemble des professionnels dans les métiers du soin.
Je pense évidemment au personnel "soignant" au sens habituel, au monde des soins de santé, c’est la moindre des choses ! Mais pas uniquement. Je pense aussi à celles et ceux qui pratiquent de "petits" métiers invisibles ou si peu remarqués, alors qu’ils rendent vivables nos vies. Nous sommes en confinement, nous disparaissons des espaces publics et voilà qu’apparaissent celles et ceux dont nous avons besoin : qui fabriquent, qui transportent et qui distribuent notre alimentation, nos médicaments, nos loisirs, notre information, nos déchets, et notre courrier, etc. Sans oublier les enseignants et les personnes qui gardent nos enfants. Tout cela est réellement du soin, social, sanitaire, psychique… La crise révèle un secret que nous gardions dans le cœur, mais dont il était convenu qu’on ne parle pas, et que chacun formulera à voix basse, comme il le veut : "que serais-je sans vous toutes et tous" ?
Les travailleurs essentiels, les oubliés qui font le soin quotidien sont remis en lumière. Ce qui importait il y a encore quelques semaines, bascule et devient très secondaire, disparaît des regards et des communiqués de presse. Ce qui ne comptait guère devient visible et saute aux yeux.
Le soin n’est-il pas l’unique nécessaire, qui se réalise concrètement en gestes, en mots et en pensées ? Le soin n’est-il pas le fond - les anciens Chinois disaient la racine -, la condition du vivre ? Ainsi, la crise nous ouvre les yeux sur un monde plus vrai, plus subtil, plus nuancé : les métiers les plus importants, les activités qui comptent, les gestes qui sauvent, ne sont pas ceux qu’on croyait. Aujourd’hui, nous saluons enfin les personnes qui assurent les soins de santé, et nous nous rendons compte que leur travail rejoint celui d’autres travailleurs, souvent peu qualifiés, dont le service est indispensable.
Les invisibles devenus visibles ne retourneront pas dans l’ombre. On doit y veiller, car la crise nous aura forcés à faire un pas de plus dans l’humanisation de nos sociétés. Notre fraternité passe par la reconnaissance de la dignité et de l’interdépendance de chacun-chacune.
Michel Dupuis, philosophe, professeur à l’UCLouvain et à l’ULiège
dans le courrier des lecteurs de La Libre du 7 avril 2020
La crise sanitaire nous fait ressentir et voir bien des choses !
Et des choses habituellement dans l’ombre, tout à coup, apparaissent. La crise révèle. Elle renouvelle le regard. Elle fait voir l’invisible, et surtout elle fait apparaître les "invisibles", toutes ces personnes qui soutiennent la vie au quotidien en étant confinées dans des activités peu valorisées - peut-être même des "sales boulots".
Il me semble que la crise inédite que nous vivons nous apporte sa révélation bien à elle : elle nous fait voir des femmes et des hommes dont la fonction ne recevait pas l’attention qui lui est due. Je pense ici à l’ensemble des professionnels dans les métiers du soin.
Je pense évidemment au personnel "soignant" au sens habituel, au monde des soins de santé, c’est la moindre des choses ! Mais pas uniquement. Je pense aussi à celles et ceux qui pratiquent de "petits" métiers invisibles ou si peu remarqués, alors qu’ils rendent vivables nos vies. Nous sommes en confinement, nous disparaissons des espaces publics et voilà qu’apparaissent celles et ceux dont nous avons besoin : qui fabriquent, qui transportent et qui distribuent notre alimentation, nos médicaments, nos loisirs, notre information, nos déchets, et notre courrier, etc. Sans oublier les enseignants et les personnes qui gardent nos enfants. Tout cela est réellement du soin, social, sanitaire, psychique… La crise révèle un secret que nous gardions dans le cœur, mais dont il était convenu qu’on ne parle pas, et que chacun formulera à voix basse, comme il le veut : "que serais-je sans vous toutes et tous" ?
Les travailleurs essentiels, les oubliés qui font le soin quotidien sont remis en lumière. Ce qui importait il y a encore quelques semaines, bascule et devient très secondaire, disparaît des regards et des communiqués de presse. Ce qui ne comptait guère devient visible et saute aux yeux.
Le soin n’est-il pas l’unique nécessaire, qui se réalise concrètement en gestes, en mots et en pensées ? Le soin n’est-il pas le fond - les anciens Chinois disaient la racine -, la condition du vivre ? Ainsi, la crise nous ouvre les yeux sur un monde plus vrai, plus subtil, plus nuancé : les métiers les plus importants, les activités qui comptent, les gestes qui sauvent, ne sont pas ceux qu’on croyait. Aujourd’hui, nous saluons enfin les personnes qui assurent les soins de santé, et nous nous rendons compte que leur travail rejoint celui d’autres travailleurs, souvent peu qualifiés, dont le service est indispensable.
Les invisibles devenus visibles ne retourneront pas dans l’ombre. On doit y veiller, car la crise nous aura forcés à faire un pas de plus dans l’humanisation de nos sociétés. Notre fraternité passe par la reconnaissance de la dignité et de l’interdépendance de chacun-chacune.
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