16 mai 2009

La biodiversité, c’est l’âme de l’Humanité

De nombreuses espèces enregistrent des déclins inquiétants.
Pour l'écologue Robert BARBAULT, cette crise est à la fois écologique et morale.

Entretien Gilles Toussaint
Robert Barbault est directeur du département Ecologie et Gestion de la Biodiversité du Muséum national d’Histoire naturelle français.

• On parle beaucoup de la biodiversité en termes alarmants, mais cet enjeu semble encore mal perçu par l'opinion publique. Comment mieux faire passer ce message ?

On intéresse généralement le public à ce sujet à travers une approche emblématique comme la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la Conservation de la nature, mais il ne mesure pas de quelle façon il est réellement concerné. Par rapport à la crise économique, il a l’impression que la nature c’est sympathique, mais que ce n’est pas aussi dramatique que le reste.
Pour ma part, je présente la biodiversité un peu différemment en commençant par dire qu’elle représente le tissu vivant de la planète et que le phénomène du vivant est caractérisé par la diversité qui est la raison de son succès. Si cela dure depuis quatre milliards d’années, c’est parce qu’il y a de la diversité. Ce tissu vivant a une ampleur planétaire, nous sommes concernés quand des espèces disparaissent, quand le tissu vivant se déchire, car c’est la qualité des milieux dans lesquels nous vivons qui se détériore.

En présentant les choses de cette manière, les gens réalisent que c’est important et qu’à la limite, la crise financière n’est qu’un épiphénomène de cette dégradation; du fait que l’on méconnaisse l’importance du fonctionnement des systèmes vivants pour les activités humaines, y compris les activités économiques passées ou présentes. S’il n’y avait pas eu la vie sur terre, qui a abouti à la formation de calcaire, on n’aurait pas eu de pierres pour construire Notre-Dame de Paris.

• Êtes-vous favorable à l'idée de faire payer les services rendus par la nature ?

Cette notion de services écologiques - la purification de l’eau, la régulation du climat, les pollinisateurs - passe assez bien. On les associe à des chiffres de nature économique et tout d’un coup cela a l’air plus important. Mais je pense qu’il faut être très prudent car la cause fondamentale de la dégradation de la biodiversité, c’est le système économique dominant et le marché libre. Donc, se dire que pour faire prendre au sérieux ce problème et le résoudre, on va le quantifier économiquement, c’est finalement continuer de soumettre la nature à ce qui est à la cause de sa destruction.
Bien sûr ce n’est pas inintéressant de disposer de tels chiffres, mais la valeur de la biodiversité, avec un grand V, reste la valeur de la vie. Il faut donc prendre certaines précautions et d’abord faire prendre conscience aux gens du fait que s’il y a un problème, c’est précisément parce que les hommes, en particulier les Occidentaux modernes, ont perdu de vue qu’ils dépendaient de la nature pour leur propre bien-être. En général, quand je demande aux gens s’ils ont besoin de compter les morts après une guerre pour savoir si la guerre c’est quelque chose de bien ou pas, ils répondent non.

• Une nouvelle révolution copernicienne pour resituer la place de l'homme dans la nature est-elle nécessaire ?

Exactement, il faut lui faire redécouvrir que ses racines se trouvent dans ce qu’il appelle la nature. Que les singes sont nos cousins et que ce n’est pas s’affaiblir et s’amenuiser de le reconnaître. Au contraire, c’est s’enraciner dans quelque chose de prodigieux qui est le vivant, la biodiversité, avec une expérience accumulée sur des millions d’années et des prodiges d’invention.

L'hypothèse d'une 6e extinction massive est de plus en plus souvent évoquée...

L’utilisation de l’expression "6e crise d’extinction" n’est pas du tout appréciée par les paléontologues et je les comprends. La comparaison n’est pas judicieuse parce que l’échelle de temps des extinctions passées s’est étalée sur des centaines de milliers voire des millions d’années. Or, aujourd’hui nous en sommes au mieux dans une échelle de la décennie ou du siècle. La deuxième différence, c’est que ces grandes extinctions étaient liées à des événements majeurs d’ordre géologique, climatique ou volcanique et éventuellement à la chute d’une météorite. La crise actuelle est due au dérèglement des sociétés et des activités humaines.
Aujourd’hui, on constate certes des disparitions d’espèces et des effondrements de populations. Mais, dans le monde marin qui a été fortement martyrisé, par exemple, on n’a pas recensé pour l’instant la disparition ni d’une espèce de baleine, ni de requin. De manière générale, les populations des grands prédateurs marins se sont néanmoins effondrées de plus de 95 %, voire 99 %.

L’obsession de l’extinction fait que l’on ne mesure pas que ce qui est grave, ce n’est pas seulement la disparition d’une espèce, c’est le fait que quand une espèce qui jouait un rôle important dans la dynamique des écosystèmes voit sa population réduite de manière drastique, cela déséquilibre radicalement le fonctionnement de ceux-ci. Il y a toute une série de phénomènes qui font leur apparition : les méduses se mettent à pulluler, etc. Et c’est seulement aujourd’hui que l’on commence à mesurer la catastrophe que représente l’effondrement des stocks de grands prédateurs marins.

Cela dit, on sait que l’on est dans une phase d’intensification des taux d’extinction et que l’on peut parler de crise d’extinction. Mais il ne sert à rien de dresser seulement des listes de comptage. Il faut plutôt attirer l’attention sur le fait que nous sommes une espèce supposée intelligente, capable de se préoccuper des générations futures et donc de corriger le cours des choses.

• A terme, l'espèce humaine pourrait-elle elle-même être menacée ?

Cela nous renvoie à la fameuse phrase attribuée à Einstein à propos des abeilles. Il faut la voir d’un point de vue symbolique. Cela veut dire que si l’espèce humaine est conne au point d’entraîner la disparition des pollinisateurs, elle finira effectivement par aller à sa perte. Non pas parce que les espèces disparaissent, mais parce qu’elle est profondément destructrice.
La crise d’extinction ne va pas entraîner directement la disparition de l’espèce humaine, qui est résistante. Derrière la crise actuelle de la biodiversité se joue la dimension humaine, humaniste de notre espèce. La question est de savoir si cette dimension va survivre à une destruction massive qui n’est pas seulement une destruction de la nature, mais qui est aussi une destruction sociale, économique et morale. La destruction des milieux tropicaux va de pair avec la destruction des conditions de vie des populations qui y vivent. Ce n’est pas les pauvres du Sud qui détruisent la biodiversité, c’est essentiellement le développement de nos sociétés occidentales qui entraînent la destruction des milieux par surexploitation et avidité. Pour moi, c’est là l’enjeu majeur. D’où le côté positif de cette crise si l’on sait s’en emparer de façon constructive. C’est un signal d’alarme qui nous rappeler que nous sommes Homo sapiens , censé être plus intelligent que les autres.

La Libre Belgique, Gilles Toussaint. Mis en ligne le 11/05/2009
http://www.snv.jussieu.fr/vie/dossiers/biodiversite/barbault/interview%20barbault.htm

A lire : "Un éléphant dans un jeu de quilles- L’homme dans la biodiversité" Par Robert Barbault. Editions du Seuil.

Voir aussi (et entendre) : http://archives-sonores.bpi.fr/index.php?urlaction=doc&id_doc=2954

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