04 mai 2009

Un moment clé pour faire les bons choix

Une synthèse intéressante de la situation actuelle est faite par Peter Tom Jones, responsable de l'étude "Ecologie industrielle" à l'Université de Louvain (KUL) et promoteur d'une économie écologique en Flandre. Son interview paru dans Dimension 3, le journal de la Coopération belge vaut la peine d'être lu et même utilisé dans le symposium. Bonne lecture. Michel Simonis

La crise économique actuelle ne s’est pas invitée seule. Le Sud, dans le même temps, doit encore faire face à une crise alimentaire. Parallèlement, les combustibles fossiles s’épuisent peu à peu. Le changement climatique nécessite des mesures radicales, tandis que la consommation du Nord affecte les ressources de la terre. Tous ces problèmes sont liés indissociables. Un des courants de pensée qui place les solutions dans un contexte global est l’économie écologique. Nous avons eu un entretien avec l’un de ses apôtres, Peter Tom Jones.

Quelles sont les principales caractéristiques de l’économie écologique ?

L’économie écologique part de la réalité biophysique qui établit que la croissance a des limites réelles. L’écosystème de la terre est limité dans les matières premières qu’il peut fournir et dans la capacité d’absorption des déchets comme le CO 2. Une croissance économique mondiale de 5 % implique que l’économie internationale double en 16 ans, quadruple en 30 ans, etc. À long terme, cela ne peut jamais être durable sur le plan écologique. Par ailleurs, l’économie écologique recherche une répartition plus équitable de la marge écologique, ce qui est très important dans le cadre d’un accord climatique international futur, par exemple. Dans l’économie écologique, le marché n’arrive qu’en troisième position. On utilise le marché pour ce qu’il a de bon, mais cela ne va pas plus loin. C’est totalement différent de l’économie néoclassique actuelle, qui continue à chercher la prospérité uniquement dans les mécanismes du marché.

À quoi ressemble le monde idéal de l’économie écologique ?

À long terme, cela doit être un monde qui admet que la croissance a des limites biophysiques : cela s’appelle une économie en état de stabilité. Ceci doit aussi aller de pair avec une réforme du système financier. En effet, le système actuel avec des taux d’intérêt positifs débouche sur une économie qui a besoin d’une croissance minimale pour être stable. On trouve notamment de bonnes idées quant à un nouveau système financier dans le livre "Le futur de l’argent" de Bernard Lietaer. Il s’agit d’un débat indispensable, mais complexe. Toutefois, nous ne devons pas perdre de vue qu’il faut préparer d’urgence la transition à une économie pauvre en carbone. La crise financière actuelle, qui coïncide avec une crise du climat, de l’alimentation, de l’eau et de l’énergie, représente un moment charnière pour enfin faire les bons choix. Heureusement, le monde commence à en prendre conscience. L’idée d’un Green New Deal – un concept de la cellule de réflexion britannique New Economics Foundation – est maintenant propagée par Ban Ki-Moon et Al Gore.
Obama aussi l’a bien compris, ce qui donne un signal vraiment porteur d’espoir. Je considère qu’il s’agit d’un premier pas pragmatique vers l’économie écologique.

Comment envisagez-vous ce monde pauvre en carbone ?

Le logement, la mobilité, l’alimentation et les déplacements sont responsables d’environ 80 % de notre impact environnemental. En ce qui concerne le logement, nous devons mieux concevoir nos maisons en utilisant la technologie des maisons passives. Les bâtiments existants doivent être profondément adaptés aux meilleures techniques de rénovation à notre disposition. En ce qui concerne la mobilité, nous devons aller vers une électrification complète du parc automobile durant les 15 à 20 prochaines années.
D’ailleurs, l’utilisation de voitures électriques entre parfaitement dans le cadre du réseau intelligent (partiellement) décentralisé de l’avenir. Le système centralisé actuel est "stupide" et inefficace, notamment en raison des pertes importantes durant le transport sur le réseau. Et le stockage de l’électricité est très difficile, ce qui entraîne une mauvaise relation entre l’offre et la demande. Dans les réseaux intelligents décentralisés de l’avenir, les batteries des voitures électriques feront fonction de systèmes de stockage qui accumulent et libèrent l’électricité en fonction des besoins. Une autre piste intéressante en matière de mobilité est le développement d’un système flexible de voitures partagées. Évidemment, l’offre de transports en commun et d’infrastructures cyclistes doit être considérablement améliorée. Quant à l’alimentation, nous devons tendre vers une réduction de la consommation de viande et une alimentation plus saisonnière, biologique et locale. En termes de voyages, enfin, le défi consistera à voyager à nouveau plus lentement et moins loin.

Cela demande de sérieux efforts de la population…

C’est la raison pour laquelle il est tellement important d’insister sur le haut degré de qualité de vie des alternatives. Il ne s’agit pas d’utiliser de l’eau froide en hiver, ou de vivre dans une cabane munis de chaussettes en laine de chèvre... Avec la technologie des maisons passives, qui existe déjà, non seulement l’impact environnemental diminue d’environ 75 %, mais le confort de l’habitat connaît une grande amélioration. En ce qui concerne la mobilité, nous devons surtout nous concentrer sur la santé. Il y a un énorme problème de particules fines et d’embouteillages. Le Belge moyen - c’est encore pire en Flandre - perd 13,5 mois de sa vie en raison des particules fines. La mobilité écologique est plus sûre et plus saine. Pour l’alimentation, la santé est aussi un argument pertinent. De nombreux problèmes de santé actuels (maladies cardiovasculaires, obésité, diabète, cancer) sont liés à une consommation excessive de viande. De plus, l’alimentation locale et saisonnière est issue d’un nouveau type d’agriculture, avec un ensemble de tâches plus vaste, notamment le souci du paysage, la biodiversité, voire le stockage de carbone. Le secteur le plus complexe est celui des voyages. Pourtant, il est indispensable de remettre en question ce qui semble aller de soi : les vols intercontinentaux.

La transition vers une économie écologique présente des avantages dits complémentaires. Elle crée par exemple de nouveaux emplois ancrés localement, qui ne sont plus soumis aux distorsions du libre-échange international. La Confédération européenne des syndicats a calculé qu’une réduction des émissions de CO 2 de 40 % dans l’Union Européenne créerait 1,5 % d’emplois de plus qu’un scénario classique. Il faut des métiers de qualité pour des travaux intensifs comme la rénovation des bâtiments existants, l’énergie renouvelable et les nouveaux types de transports en commun. Un deuxième avantage majeur est l’autonomie énergétique. Nous sommes actuellement face à une situation insoutenable. Pour son énergie, la Belgique dépend presque totalement de l’étranger. Les combustibles fossiles (gaz naturel, pétrole) vont devenir plus chers, tandis que l’uranium nécessaire à l’énergie nucléaire provient de pays souvent instables politiquement. Un changement s’impose : une consommation rationnelle de l’énergie, une plus grande efficacité énergétique dans l’industrie, des bâtiments passifs - et ultérieurement actifs -, une utilisation bien plus fréquente des énergies renouvelables, etc. Enfin, les villes deviendront beaucoup plus vivables grâce à un aménagement vert, et avec une mobilité durable et des voitures électriques. A eux seuls, les avantages pour la santé pourront être plus intéressants que les coûts de la mise en oeuvre de ces politiques. En y associant les investissements dans l’emploi et l’autonomie énergétique, on obtient une situation triplement win-win.

Ce qui importera énormément dans tout ceci, c’est que, consciencieusement et loyalement, le gouvernement exerce une fonction d’exemple. Avec ses marchés publics, il possède 20 % du marché ! S’il fait des choix verts cohérents, il peut stimuler les secteurs verts et les faire croître suffisamment pour qu’ils puissent concurrencer les secteurs non verts, qui sont encore privilégiés de facto aujourd’hui, en raison de la non intériorisation des frais externes.

Le concept du cradle to cradle (littéralement "du berceau au berceau") établit que nous pouvons continuer à consommer si les produits sont biodégradables et/ou si les circuits sont fermés. Il n’est donc pas question de réduire la consommation ?

Le cradle to cradle fait partie de la solution, mais sans plus. Les concepteurs continuent à partir de la consommation illimitée. Cependant, une croissance infinie du PNB est incompatible à long terme avec les ressources limitées de la terre. Nous vivons déjà au dessus de ces ressources. Il n’existe aucune argumentation scientifique pour continuer à promouvoir une croissance illimitée. De plus, la croissance ne mène plus au bien-être. Plusieurs études de satisfaction ont montré que dans les pays occidentaux, les revenus supérieurs à partir d’un certain niveau sont totalement indépendants du niveau de bien-être. Il n’y a donc aucun lien direct entre le sentiment de bien-être et le revenu. Actuellement, si l’on souhaite créer un niveau de bien-être supérieur, il faut réparer les tissus sociaux, introduire la sécurité et la sûreté, améliorer la santé et réduire les inégalités internes. De même, il est faux de dire que la croissance du PNB est nécessaire par définition pour créer de l’emploi. À l’heure actuelle, il arrive aussi que la croissance du PNB détruise l’emploi, notamment à cause de l’automatisation. Il est bien plus efficace d’opter pour une économie écologique où l’on taxe moins le travail et plus l’impact environnemental et où l’on investit dans des secteurs de travail intensif. La croissance du PNB serait aussi nécessaire pour lutter contre la pauvreté du Sud ? Encore une fois, des chiffres empiriques prouvent le contraire. Une étude de la New Economics Foundation sur la période de 1990 à 2001 montre qu’il faut 166 dollars de croissance du PNB mondial pour dégager 1 dollar de lutte contre l’extrême pauvreté. Il s’agit d’un rendement de seulement 1 sur 166. Quelle doit alors être la croissance du PNB pour lutter sérieusement contre la pauvreté ? Il nous faut donc d’autres mécanismes directs.

Comment percevez-vous le fossé qui sépare le Nord et le Sud?

C’est précisément le débat sous-jacent à la conférence climatique cruciale de Copenhague, prévue en décembre 2009. Un accord équitable nécessite un transfert technologique et des transferts financiers du Nord vers le Sud. C’est tout ce qu’il y a de plus correct, étant donné la dette historique de carbone du Nord envers le Sud. En raison du principe du "pollueur payeur", le Nord doit fournir des fonds afin que le Sud puisse développer la capacité d’adaptation nécessaire pour lutter contre les conséquences du changement climatique. En outre, un transfert technologique est également nécessaire, même s’il va à l’encontre du système actuel en vigueur des droits de propriété intellectuelle. Il faut donc de l’argent pour payer les entreprises afin qu’elles transfèrent leurs technologies. Les pays en développement doivent pouvoir disposer immédiatement des meilleures technologies et des meilleurs systèmes : urbanisme vert, mobilité durable, systèmes électriques décentralisés, etc. Ce faisant, le Sud ne doit pas commettre les erreurs de l’Occident. L’aide au développement doit réduire le risque d’impact climatique. Nous ne pouvons donc pas investir dans des projets qui seront inutiles dans 10 ans en raison des changements climatiques, mais préparer les sociétés du Sud à ce changement. Il s’agit donc d’une part de réorienter les budgets de développement existants et, d’autre part, d’accorder de nouveaux budgets pour payer l’adaptation et les mesures technologiques. Cela permettra de développer des économies locales qui seront davantage basées sur des blocs commerciaux régionaux, et
qui dépendront moins de l’exportation à bas prix vers l’Occident.

On entend souvent dire : les pays en développement doivent surtout exporter pour pouvoir se développer. Est-ce un mythe ?

C’est un mythe s’il s’agit de produits sans grande plus-value comme les produits de base de la monoculture, l’exploitation forestière et les minéraux non traités. Ainsi, les pays en développement consomment leur propre capital naturel avec de graves conséquences écologiques sur place. Cela produit des revenus à court terme (à très bas prix d’ailleurs), mais ce capital naturel est perdu à long terme. Ce n’est pas comme ça que l’on développe la prospérité économique durable.

Une forme de dé-mondialisation (deglobalisation) économique est donc souhaitable. Cela implique que les économies du Sud réorientent leur croissance, axée sur l’exportation dans le cadre du marché international, vers la production de marchés locaux. La dé-mondialisation est un plaidoyer pragmatique pour une économie mixte, où l’initiative privée côtoiera davantage les entreprises publiques, les coopératives et d’autres formes d’économie sociale. Les régions ou communautés produiront elles-mêmes les marchandises dont elles ont besoin, surtout dans le cas des denrées alimentaires, si toutefois c’est possible à un coût peu élevé. Dans le cas contraire, l’importation aura sa place. L’économie mondiale doit se développer à plusieurs niveaux (local, national, continental, mondial) en évitant que des marchandises en vrac et des produits agricoles primaires soient envoyés partout dans le monde.

Toutefois, sur le plan politique, nous avons plus que jamais besoin de mécanismes supplémentaires et d’organisations onusiennes plus solides pour l’environnement, le climat et le développement, au lieu de donner les pleins pouvoirs à la Banque Mondiale, au Fond Monétaire International et à l’Organisation Mondiale du Commerce. D’ailleurs, ces institutions perdent déjà du pouvoir en raison des pays émergents tels que la Chine, l’Inde et le Brésil. La carte du pouvoir des pays du Sud se redessine peu à peu.

Chris Simoens

online :
www.neweconomics.org
www.petertomjones.be
www.oikos.be
www.terrareversa.be

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