25 mars 2020

Coronavirus: "Nous créons nous-mêmes les foyers de contamination"

Valentin Dauchot
LLB, lundi 23 mars 2020


Depuis 60 ans, notre société ne fait qu'accélérer. Que voit-on accélérer en parallèle? Le nombre d'épidémies.

 
Covid-19 n’est pas le nom du virus que tout le monde cherche à fuir depuis des semaines. Il s’agit de la maladie provoquée par ledit virus qui répond, lui, au doux nom de SARS-CoV-2. Le voilà, l’ennemi public numéro un, troisième enfant de la méchante famille coronavirus, dont les deux premiers rejetons avaient déjà tenté d’anéantir une partie de l’humanité en 2002 (Sras) et 2012 (Mers). L’arrivée du cadet revanchard ou d’un petit-cousin hargneux était-elle prévisible ? Oui, mais pas pour les raisons qui nous viennent immédiatement à l’esprit.

D’un point de vue scientifique, difficile de dresser l’équivalent d’un tableau périodique des virus. "Il y en a des centaines de milliers et ils se renouvellent constamment, ce qui génère sans arrêt l’arrivée de nouveaux virus ou de variants", explique Eric Leroy, virologue à l’Institut français de recherche et de développement (IRD). "Chaque animal, dont l’homme, héberge de manière asymptomatique des centaines, voire des milliers de virus. À un moment donné, à la faveur de mutations, ces virus deviennent pathogènes et peuvent se transmettre à d’autres espèces." Bien que des tentatives aient déjà été entreprises pour recenser les virus inconnus, "90 % des virus que l’on connaît bien le sont parce qu’ils ont été responsables de maladies", poursuit Eric Leroy. "Compte tenu de l’ampleur de la question, il est assez logique qu’on s’intéresse en priorité aux maladies infectieuses qui s’expriment cliniquement chez l’homme ou l’animal." Le SARS-CoV-2 existe sans doute depuis des dizaines d’années à l’intérieur de son hôte naturel (la chauve-souris), mais on ne le connaissait pas, parce que nous n’y avions jamais été confrontés par le passé.
 
Détection et traitements plus rapides

Les scientifiques n’ont-ils donc rien appris du Sras et du Mers ? Bien sûr que si, "notre état de connaissance est même remarquable" estime Serge Morand, chercheur au CNRS, et spécialiste de l’écologie parasitaire. "Lors de l’émergence des premiers Hantavirus, pendant la guerre de Corée (1950-1953), il avait fallu attendre quinze ans avant de pouvoir les caractériser ; soit le fait de mettre les virus en culture pour les étudier, et développer la sérologie nécessaire à la création d’outils de détection et de traitement. Ici, les choses se sont faites pratiquement en temps réel. On a très vite identifié l’agent pathogène, diagnostiqué la maladie, et une trentaine d’essais vaccinaux sont déjà en cours à l’échelle planétaire." Il s’agit désormais de finaliser la conception d’un vaccin, se pencher en détail sur la famille coronavirus, et identifier avec précision le parcours du SARS-CoV-2 pour attaquer le problème à la racine.

Cela nous permettra-t-il de dire où, quand et comment aura lieu la prochaine pandémie ? Non. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il y en aura d’autres. Car les facteurs qui favorisent l’émergence et le développement de ces pandémies sont bien connus. Et à ce niveau, le constat est nettement plus accablant pour les pauvres humains que nous sommes.

L’élevage intensif, foyer idéal

Comme vous le savez désormais, la majeure partie des virus est asymptomatique. L’émergence d’une transmission suivie d’une éventuelle épidémie reste - en théorie - un événement rare. À un léger détail près : nous créons de nous-mêmes les conditions optimales pour faciliter une transmission de l’animal à l’homme, suivie d’une contamination à grande échelle.

"Qu’observe-t-on si on regarde les 60 dernières années ? interroge Serge Morand. Une accélération globale de notre système à tous les niveaux : démographie, production, empreinte écologique… Et que voit-on s’accélérer en parallèle ? Le nombre d’épidémies. Il y a de plus en plus d’épidémies, issues de maladies différentes, partagées par plusieurs pays en même temps. Et cela va de pair avec une accélération inouïe de l’élevage, notamment l’élevage industriel."

Les scientifiques ont identifié depuis longtemps les éléments qui favorisent une contamination initiale. Les fameux foyers d’émergence sont toujours des lieux de grande biodiversité animale, végétale, et de forte densité humaine. "La première question à poser est : qui nous transmet ces maladies ? poursuit le chercheur en écologie parasitaire. Les primates, les rongeurs, et plus récemment les chauves-souris. Lorsqu’on analyse les transmissions récentes, on constate toutefois que le rôle joué par les animaux domestiques reste absolument essentiel. Les vaches, cochons, poulets servent de bases à l’endémisation des virus grippaux, avant leur transmission à l’homme. Or, aujourd’hui, le poids total des bovins sur la planète est à tout instant plus élevé que celui des humains. On dénombre en permanence vingt-cinq milliards de poulets sur terre. Et ce ne sont pas les seuls concernés. On sait, par exemple, que le Sras s’est transmis à l’homme par l’intermédiaire de la civette. Et que constate-t-on ? Que lors des années précédant la contamination, les élevages de civettes ont été multipliés par cinq."

Une fois que le virus entre, c’est terminé

"La tendance est par ailleurs à la mise en place de gigantesques zones d’élevage ultra-sécurisées, poursuit Serge Morand. On y regroupe des dizaines de milliers de cochons, poulets ou bovins aux propriétés génétiques uniformisées, qui sont ensuite exportés aux quatre coins du globe. Tant que rien ne rentre dans ces élevages, pas de problème. Mais on sait que c’est impossible. Une fois que le virus y pénètre, il s’adapte, une quantité phénoménale d’animaux est contaminée, et comme ils ont tous des structures génétiques similaires, cette transmission est facilitée. Le virus H1N1 est sorti comme ça, d’une gigantesque exploitation porcine." Pas de virus, pas de problème nous direz-vous. Mais un autre élément essentiel entre en jeu : la destruction d’une part toujours plus importante de l’habitat naturel des espèces, via la déforestation notamment, qui favorise leur déplacement et leur relocalisation dans des lieux où elles n’étaient pas présentes. Lieux où ces espèces trouvent plein de nouveaux petits camarades de jeu.
 
Chaque pandémie est une alerte pour l’Homme

"Prenons l’exemple de Bornéo en Malaisie, ou Sumatra en Indonésie, lance le chercheur français. Ces îles ont été complètement déforestées par la mise en place de cultures de palmiers à huile, au détriment de forêts et de systèmes agricoles diversifiés. Les feux de forêt utilisés pour ‘nettoyer’ ces zones ont totalement détruit l’habitat naturel des chauves-souris qui ont dû quitter leur milieu naturel. Résultat ? On les a retrouvées sur d’autres îles de la péninsule malaise, à proximité d’élevages intensifs de cochons destinés au marché de Singapour. En 1998, ces cochons ont commencé à mourir en quantité, sans que l’on comprenne ce qui se passe. Les humains ont suivi. Certains de ces cochons étaient déjà partis vers le marché singapourien, où des membres du personnel des abattoirs sont morts à leur tour. Voilà, vous avez votre cycle, et c’est loin d’être un cas isolé. Ces pandémies ne sont plus des événements probables, ce sont des événements certains, puisque nous en créons nous-mêmes les lieux d’émergence. C’est notre vision globalisée et simplifiée du monde qui nous plonge dans des crises systémiques. On déstabilise tout, et cela engendre des contacts entre espèces initialement improbables."
 
La question finale est assez claire selon Serge Morand :"Comment recréer une économie qui met l’humain et la santé au centre du jeu, en lieu et place de la santé des marchés financiers." Chaque nouvelle pandémie nous fait passer un message clair qui semble inlassablement répéter la même chose : un jour, un virus particulièrement létal, virulent et difficilement détectable va tous vous éradiquer. Et vous ne pourrez pas dire que vous n’étiez pas prévenus.

(Note. C'est moi qui me suis permis de souligner en brun. MS)

Aucun commentaire: